ELLE

L’avis du elle

 » Mais comment tu vas raconter ça dans des petites cases ? ! C’est beaucoup trop compliqué !  » C’est peu dire que Benoîte Groult freine des deux pieds – qu’elle a grecs – lorsque Catel, reine du roman graphique, lui propose de buller sa vie afin d’en faire une  » bio-graphique « . Tout commence en 2008 lorsque le quotidien  » Libération  » demande à Catel de croquer l’une de ses héroïnes dans un reportage dessiné. Son sang d’encre de Chine ne fait qu’un tour : ce sera la romancière et figure de proue des femmes Benoîte Groult. Encore faut-il que l’auteure d’ » Ainsi soit-elle  » et de  » La Touche étoile  » se laisse aller à cette valse commune. Or, pour Benoîte, alors âgée de presque 90 printemps, la bande dessinée se résume à Bécassine.  » En plus, elle n’a même pas de bouche « , observe-t-elle drôlement. Et elle ne voit pas du tout pourquoi elle deviendrait le personnage d’un truc pour les enfants ou  » pour les gens qui ne lisent pas  » – Benoîte n’a jamais sa langue dans sa poche. Pour la convaincre, la dessinatrice a une cartouche féministe, Olympe de Gouges, auteure en 1791 de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, découverte grâce à Benoîte, et dont elle est en train de mettre la tragique destinée en dessins. Benoîte Groult est finalement satisfaite du sujet dans  » Libé  » dont elle est la vedette. Mais un livre entier où sa pensée serait réduite dans des cases, c’est une autre histoire… Catel n’est pas seulement fine plume, mais aussi fine mouche.

De rencontre en rencontre dans le triangle de Benoîte – son appartement parisien à deux pas du musée Rodin, sa maison d’Hyères et son refuge breton -, elle gagne la confiance de son héroïne, et c’est pour cela que cet ouvrage est formidable. Parce que Benoîte s’y livre en toute sincérité, parce que Catel la croque en toute liberté. Ainsi soient-elles, sincères et jamais guindées. Le livre vaut autant pour les mémoires d’une jeune fille longtemps trop rangée que pour le regard que Catel porte sur elle avec une distance affectueuse et amusée. Même quand on connaît déjà la vie de Benoîte (elle s’est beaucoup livrée dans son oeuvre), quand on est née avec le droit de vote et la pilule dans son berceau, on est saisie de stupeur en voyant à quoi ressemblait l’éducation d’une petite fille née en 1920. Pourtant, sa famille est lancée, artistique ascendant excentrique. Son oncle est le couturier Paul Poiret, son père un créateur talentueux de meubles. Sa mère, amante de la peintre Marie Laurencin, lui recommande :  » Muscle ta bouche en forme de coeur en répétant pomme, prune, pouce !  » Et plus tard :  » Décroche donc un mari !  » Benoîte en aura trois, et aussi trois filles, trois petites-filles, et une arrière-petite-fille, poussant le féminisme très loin. Il est passionnant d’observer comment se transmet la féminité de génération en génération. Et, à travers le destin de Benoîte, c’est toute l’histoire des femmes au XXe siècle qui est brossée sans tabous et avec humour, entre anecdotes pétillantes et aquarelles. Du 9e art, si, si chère Benoîte.

Olivia de Lamberterie

Résumé

Ce livre est à l’origine l’histoire d’une amitié entre deux femmes de deux générations différentes, l’une romancière et pionnière du féminisme, l’autre dessinatrice et pionnière de la bio-graphique, telle qu’elle la nomme.

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